Le triste sort de la presse roumaine
Le psychodrame de l'élection présidentielle roumaine en 2024 a révélé les mensonges flagrants d'une presse qui ne parvient pas à se débarrasser des agents infiltrés des Services de Renseignement.
Comme je l'ai mentionné dans mon premier texte sur les événements qui se sont déroulés du 25 novembre au 6 décembre 2024 lors de l’élection présidentielle, la presse roumaine est infestée d'agents des services de renseignement.
Il fut un temps où une ONG locale financée par George Soros, Active Watch, était l'une des voix les plus inspirantes dénonçant cette grave menace pour la liberté de la presse et le journalisme. Une menace pour la démocratie dans son ensemble, car une presse sous le contrôle du pouvoir exécutif ne peut remplir son rôle essentiel de contre-pouvoir.
Le problème a d'ailleurs été reconnu par le Parlement européen il y a plus de dix ans : en 2013, la députée européenne Renate Weber a repris le combat d'Active Watch et est parvenue à inclure dans la Charte des médias de l'UE un article consacré à ce problème, stipulant que :
"[Le Parlement européen] invite les États membres à adopter une législation visant à empêcher l'infiltration des rédactions par les agents des services de renseignement, ces pratiques mettant gravement en danger la liberté d'expression car elles permettent la surveillance des rédactions et génèrent un climat de méfiance, entravent la collecte d'informations, menacent la confidentialité des sources et tentent finalement de désinformer et de manipuler le public, ainsi que de nuire à la crédibilité des médias ;"
Ce texte a été voté par le Parlement européen. Malheureusement, 11 ans plus tard, la Roumanie ne s'est jamais conformée. En 2015, le chef du Service de Renseignement de Roumanie, George Maior, a même déclaré que :
"L'officier sous couverture est une branche spéciale, une arme spéciale de tout service de renseignement."
À cette époque, cela a déclenché des protestations formelles d'Active Watch, mais aussi du directeur de la Télévision roumaine, Stelian Tanase, qui a demandé le retrait de tous les agents. M. Maior a par la suite été décoré par la CIA en 2017, recevant la "Médaille Earl Warren". Bien sûr, la CIA récompensant un homme qui loue l'infiltration des rédactions par les services de renseignement ne surprendrait que ceux qui n'ont pas prêté attention à l'éthique de la CIA depuis sa création.
Tout cela pour confirmer que, quoi que vous tiriez de la presse roumaine, vous devez considérer la possibilité de lire le produit du travail des services de renseignement locaux. Vous devez évaluer le parcours de tout journaliste : s'il n'a jamais pris position fermement sur cette question, demandant une loi pour retirer les agents des renseignements des rédactions, s'il ne rapporte pas de manière critique les scandales de l'État profond et son ingérence dans les processus judiciaires et dans les médias : vous risquez d'être en fait exposé au produit d'un travail "non journalistique".
Selon le journaliste vétéran Cornel Ivanciuc, spécialisé dans le travail d'enquête et les questions de sécurité, il pourrait y avoir entre 100 et 200 agents infiltrés dans la presse - suffisamment pour orienter les lignes éditoriales et travailler l'opinion publique.
Qui plus est, un article du journal satirique et d'enquête Catavencii mentionne même le rôle que les agents du SIE (Service de Renseignement Externe) avaient au sein de la presse internationale, chargés d'apporter une bonne presse au régime du président Basescu (2004-2014).
L'article de Catavencii se concentre d'ailleurs sur le correspondant du Monde en Roumanie, Mirel Bran, dont il cite un exemple de désinformation dans une carrière qui en foisonne, relevé dans un article de 2020 :
« Par exemple, l'une des énormités écrites par Mirel [Bran] sonne ainsi : "…les jeunes de l'USR-PLUS ont vécu à Paris, à Oxford, à Cambridge, sur le campus de Harvard ou dans d'autres grandes villes universitaires d'Europe de l'Ouest et des États-Unis". Rien de plus faux. La plupart des dirigeants de l'USR sont diplômés de Droit, de l'ASE [Académie des Sciences Économiques] ou de la fac de Transports en Roumanie, sans parler de leur note de licence ou de leur moyenne de fin d'études. [...] Il existe bien deux ou trois dirigeants USR-PLUS avec des études universitaires au Canada, en Autriche ou en France. Mais d'Oxford, Cambridge ou Harvard, pas la moindre trace. »
Je ne peux qu'acquiescer au constat de Catavencii, ayant vu durant la crise Covid comment M. Bran expliquait que non seulement le parti AUR (Alliance pour l'Union des Roumains) était antivax, mais également le PSD (Parti Social Démocrate). Balivernes... AUR est certes le principal parti à s'être opposé aux restrictions sanitaires et à avoir réussi à faire reculer le gouvernement sur le pass sanitaire, mais leur discours a toujours été pour la liberté de choix, un point d'ailleurs rappelé il y a quelques jours par le candidat George Simion lors du débat présidentiel. Quant au PSD, que M. Bran a en grippe, il a voté le pass sanitaire au niveau européen, critiquait les échecs de la campagne de vaccination menée par le gouvernement pour au final entrer au gouvernement et la gérer via leur ministre de la santé, M. Rafila, le mois d’après !
Dans la même veine, M. Bran a signé pendant cette période un article à charge déplorant que la Cour Constitutionnelle ait invalidé les amendes infligées aux réfractaires, sous le titre tendancieux "En Roumanie, se protéger du Covid-19 est « anticonstitutionnel »" pour fustiger les personnes qui refusaient d'être hospitalisées de force. Un article qui naturellement ne racontera pas les cas de personnes attachées à leurs lits, les suicides par défenestration dans les hôpitaux et autres souvenirs qui hantent encore la Roumanie alors qu'elle s'apprête à voter de nouveau aux élections présidentielles.
En conclusion, vous ne pouvez donc pas non plus vous attendre à un sincère travail de journaliste de la part des auteurs couvrant la Roumanie dans Le Monde, Deutsche Welle, Radio Free Europe, Nature, Politico, RFI, la BBC, Newsweek, etc., tant qu'une loi n'est pas appliquée pour retirer les agents des renseignements de la presse et laver tous les noms qui peuvent l'être.
Selon un autre journaliste d'investigation roumain chevronné, spécialisé dans les questions de corruption et la politique, Patrick André de Hillerin, "planter" des agents dans les rédactions étrangères '“est un héritage de l'ère pré-89. Pendant un certain temps, dans les années 90, ces activités ont cessé, mais ont ensuite repris, y compris en "acquérant" des agents, plutôt qu'en les infiltrant - probablement une méthode plus rentable, bien que plus risquée”.
Mon avis à ce sujet — et j'espère vraiment que les années à venir verront enfin une loi destinée à respecter les valeurs européennes et la Charte des médias de l'UE — est que la Roumanie doit non seulement retirer les agents des renseignements des rédactions (tant localement qu’à l’étranger), mais surtout signaler tout les “contenus” produits par eux dans la presse et sur les réseaux sociaux, afin que le droit constitutionnel des citoyens à l'information soit respecté1 et que l'ensemble de la question puisse être correctement étudié par les journalistes et les chercheurs universitaires. Cela aiderait à restaurer la crédibilité de la presse roumaine et rendrait service à tous les véritables journalistes qui font leur travail sans être secrètement sur les feuilles de paie de l'État.
Que peuvent produire ces médias infiltrés lors d'une attaque hybride domestique contre les processus démocratiques ? Évidemment, de véritables fake news...
Mais comme c'est aussi le destin de beaucoup de médias aujourd'hui, il sera toujours difficile de dire si une campagne de dénigrement est le produit de l'ingérence des services de renseignement, d'une pure incompétence ou d'une sournoiserie typique de la grande chasse aux clics qui caractérise notre époque.
Il convient également de noter que pratiquement tous les médias locaux reçoivent des financements des partis politiques, tandis que les rares qui revendiquent leur "indépendance" sont souvent très "dépendants" de l'argent des gouvernements étrangers (y compris les financements OCCRP/USAID/NED), et qu’après s'être illustrés pour ne presque jamais aller contre les intérêts de leurs bailleurs, ils se retrouvent désormais en détresse face à l’arrêt du robinet américain. Je reviendrai probablement sur la question spécifique du financement dans un autre article.
Pour l'instant, plongeons dans quelques exemples de fake news.
Fake news des médias traditionnels
Tout d'abord, soyons précis, il y a eu beaucoup de déclarations concernant l'attaque hybride subie par la Roumanie, et un grand nombre n’ont fait que répéter ce que disait le pouvoir exécutif.
D'après ce que j'ai observé, la seule attaque hybride évidente est celle menée par une conspiration de forces à partir du moment où le candidat "OVNI" Călin Georgescu est apparu victorieux à l'issue du premier tour de l'élection présidentielle roumaine en novembre 2024. Comme je l'ai décrit dans un autre article, le président roumain, son parti, mais aussi le président français et une série de forces ont décidé de faire tout ce qu'il fallait pour contester le vote du peuple, même si aucune preuve d'une ingérence russe significative ne pouvait être fournie. (En fait, l'un des cas avérés d'ingérence était que le parti du président roumain Iohannis, également le parti de l'actuel président par intérim Bolojan, a participé à la campagne TikTok initialement attribuée à la Russie). Durant cette attaque, débutée le 25 novembre, la première fake news, et la plus répandue, a été de définir Georgescu comme pro-russe, anti-UE, anti-OTAN, bien qu'il ait clarifié sa position à plusieurs reprises (ici, ici, ici).
Le prix de la fake news devrait probablement revenir au Newsweek local pour l’article "Qui est Călin Georgescu ? Il veut le RO-EXIT, la sortie de la Roumanie de l'OTAN, et un retour vers la Mère Russie."
Mais les étiquettes étaient omniprésentes :
Adevarul: "La Roumanie au bord du gouffre : L'extrémisme pro-russe menace la stabilité de l'UE et de l'OTAN."
G4 Media: "Qui est Călin Georgescu, le candidat surprise pro-russe, antisémite avec une rhétorique d'extrême droite de style légionnaire et anti-occidentale ?"
Deutsche Welle: "Călin Georgescu, un candidat nationaliste, anti-européen et pro-Russie"
Radio Free Europe: "Les Roumains manifestent suite à la victoire surprise du candidat présidentiel pro-russe"
RFI Romania: "Le candidat indépendant Călin Georgescu, aux positions pro-russes, ultra-nationalistes et anti-européennes..."
BBC: "Un candidat d'extrême droite, pro-Russie, a pris une avance surprise au premier tour de l'élection présidentielle roumaine."
The Times: "Un nationaliste anti-OTAN remporte le premier tour de l'élection présidentielle roumaine"
The Guardian: "Choc après la victoire d'un indépendant pro-Russie au premier tour de l'élection roumaine"
Un prix spécial revient également à un journal habituellement très bon et incroyablement courageux, Haaretz, qui a néanmoins réussi à publier ce titre lamentable: "La Roumanie accuse Israël d'ingérence électorale après l'appel téléphonique d'un ministre de Netanyahu avec le candidat pro-nazi".
Mobilisons-nous contre le Douguine brésilien !
Passés les premiers jours de crise, cette foule a redoublé d'efforts avec un magnifique exemple de malhonnêteté lorsqu'elle s'est emparée d'une déclaration faite par un faux compte, attribué à Alexandre Douguine, affirmant que la Roumanie faisait partie de la Russie :
Où les wokistes et l'élite des Démocrates peuvent-ils s’enfuir des États-Unis ? Le Canada ? Trudeau était récemment à Mar-o-Lago. Israël ? Il y a une guerre. Londres, Paris, Dubaï ? Exactement là où les libéraux russes ont fui. Ou la Moldavie ? Elle fera bientôt partie de la Roumanie. Mais la Roumanie fera partie de la Russie.
Il m'a fallu 10 minutes à ce moment-là pour comprendre que Douguine n'était pas derrière ce compte et n'avait pas du tout déclaré cela. Néanmoins, les propagandistes dans les rédactions et sur les réseaux sociaux ont fait circuler la nouvelle partout.
Les médias sur la capture d'écran ci-dessus, G4Media, Antena 3, Digi24, Newsweek Roumanie, Romania Libera ne sont que quelques-uns de ceux qui ont propagé cette fake news. Presque tous les autres médias ont commis la même erreur : Gândul, Euronews Roumanie, ProTV, Adevarul, Hotnews, Bursa, et bien sûr RFI...
Ziarul Financiar a indirectement rapporté la réaction du Premier ministre, Marcel Ciolacu, mais a utilisé une terminologie prudente concernant le fameux compte Twitter (on dirait qu'ils avaient un journaliste au travail). Si un lecteur peut identifier d'autres médias qui ont fait leur travail à ce moment-là, n’hésitez pas à me le faire savoir en commentaire.
Après avoir massivement diffusé cette fake news, il semble que seul Antena 3 ait publié une sorte d'errata, indiquant que le compte Twitter est détenu par un "troll pro-russe" basé en Amérique du Sud. Fait intéressant, j'avais trouvé lors de ma recherche rapide l'endroit où Douguine semble réellement communiquer (nota : je ne suis pas sûr à 100% que c'est lui qui le gère, mais le compte, sur VK, a beaucoup plus de sens au regard de sa rhétorique connue). Ce que le faux compte Twitter avait diffusé était une distorsion totale d’un message plus long. Mais le texte complet était beaucoup moins pratique pour les médias traditionnels à publier dans un errata :
J'avais supposé que le fils de Biden serait gracié par Trump. Mais il est devenu clair que Trump a l'intention de s'attaquer sérieusement à faire emprisonner l'élite corrompue du Parti démocrate. Le sérieux de ses intentions est attesté au moins par la nomination de Kash Patel à la tête du FBI. Kash Patel est l'un des ennemis les plus radicaux de l'État profond. Pour les Démocrates, ce fut un choc. Maintenant, Biden, son fils junkie et criminel, ainsi que tous les participants aux orgies pédophiles perverses et sanglantes, apparemment, sont arrivés à leur fin. Ils se précipiteront au Canada, mais Trudeau, effrayé, a déjà rendu visite à Trump à Mar-o-Lago et, apparemment, a accepté l'extradition de l'élite woke si elle décide de se déplacer au Canada. Oui, les États-Unis auront maintenant leurs propres expatriés. Elon Musk a déjà déclaré que la cancel culture est annulée. Par conséquent, beaucoup iront à Londres chez Starmer et à Paris chez Macron. Ou même à Dubaï.
Bien sûr, publier cette déclaration aurait véhiculé des informations désagréables à partager pour les médias locaux infiltrés, notamment sur la fin possible de cette vieille pratique de l'État profond américain consistant à s'ingérer dans le fonctionnement des démocraties tout en couvrant la corruption aux plus hauts niveaux.
Le Ministère des Affaires étrangères rejoint la danse des fake news
Plus important encore, le Ministère roumain des Affaires étrangères a décidé de réagir au faux compte Douguine en rappelant le conflit de longue date entre les intérêts de la Russie et de la Roumanie à travers l'histoire, et en déclarant que "la Russie échouera".
L’argument du porte-parole du ministère (publié par Antena 3) pour réagir à un faux compte est stupéfiant :
[Andrei Țărnea a expliqué en outre que] "Le compte est connu pour être utilisé pour la propagande et la désinformation russes et est actif depuis longtemps. Que le compte appartienne réellement à Douguine ou non est sans importance, car Alexandre Douguine n'a de toute façon aucun statut officiel, et donc tout ce qu'il dit relève du trolling. Normalement, au Ministère des Affaires étrangères, nous ignorons de telles publications et n'y répondons pas, mais le message d'hier est devenu viral, largement partagé dans les médias et sur les réseaux sociaux en Roumanie. Ma réaction visait donc principalement cet aspect, et non Douguine, dont les déclarations n'ont ni autorité ni importance", a précisé Andrei Țărnea.
Ce “troll russo-brésilien” sur X s'est ainsi avéré remarquablement utile pour ceux qui veulent fabriquer des récits. Dans ce paysage post-vérité, il semble que l'identité de qui fait réellement des déclarations n'a plus d'importance - tout devient juste un autre coup de relations publiques détaché de la réalité.
La réponse du Ministère des Affaires étrangères révèle un mécanisme inquiétant de l'attaque hybride domestique contre la démocratie roumaine : attaquer le concept de vérité lui-même ; débattre avec de faux comptes ; s'engager avec des personnages inventés comme s'ils représentaient véritablement vos adversaires, puis laisser les médias infiltrés diffuser cela comme s'il s'agissait d'une véritable information.
Le triste sort de la presse roumaine ne peut que servir de signal d'alarme pour une profession qui devrait, plus que jamais, être un contre-pouvoir et non un porte-parole du pouvoir exécutif.
Onze ans après le vote du Parlement européen appelant à retirer les infiltrés des rédactions, aucune loi n'a été adoptée, et il n'est plus question de porter ce projet pour l'association qui l'avait initié, Active Watch, désormais alliée de l'architecture de censure mise en place pour policer les discours sur les réseaux sociaux.
Nous sommes maintenant en mai 2025, entre les deux tours : George Simion a repris le rôle de Georgescu dans la nouvelle campagne présidentielle et obtenu 41% des voix au premier tour; le "faux Douguine" a changé son pseudo Twitter/X et la presse roumaine cite, une fois de plus, ce troll brésilien, entre autres enfumages, fake news et articles tendancieux déferlant ces jours-ci sur les citoyens roumains, dans le but d'orienter l'opinion publique et de s'assurer que les gens votent "comme il faut".
Il existe un véritable "droit à l'information en Roumanie" inscrit dans la Constitution, défini à l'article 31.